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Nos instituteurs
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René Aniorté - Valence le 29 octobre 2007 -
L'enseignement
René ANIORTE

Nos Instituteurs

Au cours de nos rencontres, de nos longues discussions, un sujet revient souvent sur le «tapis volant de nos souvenirs enfouis», celui de nos Instituteurs*. Toujours écoutés et respectés de la population, ils ont marqué notre enfance, guidé notre adolescence et, sans doute, orienté jusqu'à notre vie d'adulte.

Parmi les bons mots et les réminiscences de cette époque se mêlent parfois des critiques. Elles me gênent lorsqu'elles sont sévères. Pour avoir enseigné quelques temps, je sais ce métier pas des plus facile. Nos Instituteurs ont occupé une place très importante dans notre vie. C'est vrai qu'à chacune des époques correspond une méthode et des manières d'être, très différentes, autant de leur part que de celles des élèves.
De plus, les parents, souvent sévères, autorisaient le maître à punir. À cette époque, il ne serait venu à l'idée de personne d'aller, comme aujourd'hui, se plaindre à ses parents à l'occasion d'un soufflet reçu en classe. Ce silence évitait une nouvelle «correction maison» !

Dans cette profession, comme dans bien d'autres, les gens avaient la foi, c'est certain. Ils tentaient de nous transmettre un maximum de savoir, tout en formant nos esprits à l'approche de la vie. J'ai des noms qui reviennent et des sourires sur des visages. De Mlle Rivoalan en classe maternelle ou Mlle Duthu, Mme Rodes, Mme Didier, Mme Piétri, Mme Martinez, Mme Rueda et tant d'autres, dont le patronyme m'échappe et qui exerçaient chez les filles.
Au CP, M. Rueda, de qui je reçus mon premier stylo plume Waterman, le jour de ma première communion, nous récompensait en jouant de la flûte. Un 18 juin, il nous parla même de cet homme providentiel, debout, seul contre l'adversité, redonnant sa fierté à la France. Il y croyait et, comme nos autres instituteurs dans notre belle Armée d'Afrique, il avait donné ses années de jeunesse pour la reconquête du pays, face à l'invasion nazie.
Hélas, vingt deux plus tard, l'auteur de l'Appel de juin 40, notre «sauveur», nous abandonnait. Cette trahison ne manqua pas de donner mauvaise conscience à cette même France. Depuis lors, nous portons au cœur une blessure. En devenant chronique, elle a contaminé jusqu'à notre âme !


Classe de CM1 de monsieur MARTINEZ (1949-1950) - AÏN-EL-TURCK

En ce qui me concerne, le souvenir le plus présent est celui de M. Martinez. Ils nous avaient appris à aligner les chiffres, à soigner les présentations, à travailler avec beaucoup de plaisir et de joie, mais surtout, à nous gérer. En fin de semaine, nous cirions les tables à la bougie et nettoyions les vitres avec du «Flit». Nous laissions la classe propre, sans nous sentir diminués, ni traumatisés, par cette tâche commune.
Pour éviter de se faire justice soi-même, les plaintes connaissaient une suite au «tribunal des enfants». Nous étions chacun notre tour, juge, avocat des plaignants ou de l'accusé. Le verdict tombait, parfois quelques lignes à écrire ou un texte à lire. Pas de prison, pas de délinquant, non plus ! Qui connaît d'autres exemples d'enfants responsabilisés dès leur plus jeune âge à assumer leur devoir civique ?
J'ai tenu avec beaucoup de fierté le cahier journal de la classe. Nous y consignions nos plus belles rédactions ou relation d'évènements survenus au village. Figurer au cahier d'honneur devenait un privilège. Hélas, il existait aussi une ombre au tableau, le port d'une drôle de coiffe avec des oreilles pointues.
Il m'est arrivé quelquefois de porter aussi ce «bonnet d'âne». Une première fois, je m'en souviens, pour avoir permis à mon cousin de copier sur mon cahier la solution à un problème. J'ai souvent, à ces occasions, prié avec ferveur et en silence, pour ne pas me retrouver coiffé de cet attribut dans la cour de récréation. Hélas, Dieu ne m'a pas toujours exaucé ! J'en rougis encore aujourd'hui en pensant à ces instants, lorsque sous les quolibets, cette cloche tardait tant à sonner le retour en classe !
Bien d'autres Instituteurs vivent encore dans nos mémoires. M. Gimenez, inlassablement, pour tout bavardage ou incident, donnait à copier des verbes, «à tous les modes et tous les temps». Quel meilleur moyen connaissez-vous pour apprendre ainsi ses conjugaisons ? Et tant pis pour les élèves trop sages s'ils buttent encore aujourd'hui sur les verbes à accorder !
Grâce à notre amicale, je redécouvris Mme Gimenez. Elle était alors nonagénaire. Nous avons échangé des lignes et bien sûr des poèmes. Son enthousiasme et sa joie de retrouver ses anciens élèves faisaient plaisir à voir. Elle était heureuse !
Ses «petits Aïn-El-Turckois» avaient réussi leur adaptation en France et leur reconstruction, parfois, au-delà des prévisions les plus optimistes. Si ses encouragements m'ont personnellement incité à persévérer dans l'écriture, il demeure cependant en moi un regret, celui de n'avoir pas pu la visiter avant que le destin ne la rattrape, dans son existence.


Classe de CM2 de monsieur GIMENEZ (1950-1951) - AÏN-EL-TURCK
Plantation des arbres pour la nouvelle école

Leur rôle ne s'arrêtait pas là, ils s'intéressaient à nos devenirs, à nos familles, ils se réjouissaient de nos succès. Ils nous aidaient également, à l'occasion, lorsque surgissaient des difficultés dans nos études, par des cours de rattrapage ou des conseils éclairés. Le contact "élèves-instits" perdurait pendant de longues années.
Après une malencontreuse chute à vélo, l'été 55 ou 56, je me retrouvais bloqué, une jambe dans le plâtre. M. Martinez me prêta ses béquilles et M. Gaudry m'ouvrit gentiment sa bibliothèque. J'y découvris ainsi dans le détail, Jules Vernes et ses récits fantastiques, Alexandre Dumas, les mousquetaires et le Comte de Monte-Cristo. Je n'eus pas accès à «La dame aux camélias». «Cette lecture n'est pas de ton âge !», me précisa t-il. Quelques années plus tard, j'en compris les raisons !

Dans ce pays, avec parfois «peu ou prou de bagages», un certain nombre d'entre nous ont réussis. Ils ont même à l'occasion «coiffé au poteau», de plus instruits et de plus confiants en leur savoir. Nos instituteurs s'étaient préoccupés de former nos têtes, au lieu de les bourrer simplement de connaissances. Ils nous avaient aussi appris l'amour et le respect de la France. Malheureusement, ce bien précieux se perd un peu plus chaque jour.
J'ai souvent entendu nos «anciens» citer leurs instituteurs. En ces temps là, ils les menaient à l'honneur suprême, le Certificat d'Études Primaires. Combien de carrières se sont jouées et combien de portes se sont ouvertes grâce à ce petit bout de papier officiel ! Ce véritable «laissez-passer» était si précieux, qu'encadré, il figurait parfois en bonne place au-dessus du buffet de la salle à manger.
M. Grandclair ou M. Sévilla étaient souvent présents dans leurs conversations. Pour d'autres, ce fut les curés de St Augustin, les sœurs de la Colombière et les laïcs qui les secondaient. Enfin, ils étaient nos «instits» et pour les remercier, je me devais, ici, de leur rendre cet hommage.

 

René Aniorté - Valence le 29 octobre 2007

 

* Instituteur, avec un "I" majuscule, car il s'agit autant des institutrices que des instituteurs, nos maîtresses et nos maîtres d'école, comme nous les appelions alors.


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