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Poème
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René ANIORTE

René Aniorté

LE GALANT DE NUIT (Le Cestrum nocturnum)

J'aimais bien Clairefontaine, du bout des souvenirs. Non pas celle du football où les "Champions du Monde" aiment à se ressourcer, non ! Ma Clairefontaine à moi, jouxtait Aïn-El-Turck, là où sont mes racines. Elle a, dans mon enfance, souvent troublé mes sens.

Sa plage nous accueillait, sur fond de sable blond. Ses journées de soleil berçaient nos corps d'enfants rafraîchis des embruns et, ses rouleaux de vagues égayaient les baigneurs ivres de jeux et de joie. Ses longues soirées de bal à l’abri des palmiers, nous menaient jusqu'à l'aube, dans les rêves magiques de notre adolescence. Ses allées de villas paradaient au soleil et les filles, à leur tour, dénudées par l'été, souriaient au ciel bleu. Face à l'immensité de lapis-lazuli que barrait l'horizon, tout au fond d'une allée encadrée de palmiers, majestueusement, notre Château Navarre imposait sa présence, et pourtant, de sa vie nous en ignorions tout !

J’aimais bien Clairefontaine des chaudes soirées d’été. Nous marchions en famille, parcourant ses allées, suivis du clapotis des vagues venant de France. Au mélodieux murmure des feuilles excitées par la brise se mêlaient hardiment les enivrants effluves d’un millier de jardins. L'air embaumait la rose, la glycine et l'œillet, venu d’Inde ou d’ailleurs, le noble bégonia, la blanche marguerite ou l’audacieux kana, mais les dominant tous, une senteur tenace, un imbibant parfum nous imprégnait les sens.

Moi, j’aimais Clairefontaine, comme on aime d’amour lorsque nous vient l'été, une fille aux yeux verts, la peau couleur cannelle et les cheveux soleil. De tous les souvenirs issus de mon passé, s'exhalant dans la nuit, capiteux, voletant, ce parfum m’est resté. Olfactif repaire, ancré en ma mémoire jusqu'au bout de mes ans. Il me poursuit depuis sans cesser un seul jour.

Par ignorance sans doute, par respect ou amour pour ce lieu, par tendresse ou par fascination, allez savoir pourquoi, nous dénommions ces mystérieux effluves, "Galant de nuit". Oui, beau Galant de nuit ! Et qu’importe s’il était "Oranger du Mexique", "Chèvrefeuille grimpant", "Jasmin" des contes merveilleux de la belle Shéhérazade ou bien haie parsemée de bouquets de fleurs blanches, distillant en nocturne à tous les promeneurs, telle une huile essentielle, son parfum de l’été.

Seul le "Galant de nuit" chargé de poésie pouvait par sa présence forcer l’imaginaire. Tout au fond du jardin, venu en clandestin, sous de sombres habits, invisible, l'amant, tout près de la Rotonde, attendait sa "Galante". Les étoiles scintillaient en millions de milliers de coups d’œil complices et la lune pudique se servait d’un nuage pour se voiler la face. Seule, dans l'immensité de la nuit, la claire voie lactée déployait ce chemin d'absolue liberté que prennent en s'envolant les rêves d’amoureux.

Une senteur soudaine, enivrante, excitante, emplissait le jardin, précédant dans l'allée les petits pas furtifs et le doux bruissement des dentelles légères de l'exquise maîtresse, ardemment désirée. Puis en tendres volutes, la douceur du parfum enveloppait alors les amants enlacés pour une éternité, l'espace d'une nuit de passion et d'amour.

Tendre "Galant de Nuit", tu vis toujours en moi, en doucereux mystère caressant l'odorat et affolant mes sens !
Charmant "Galant de Nuit" d'une époque mythique, tu restes même aujourd'hui, ce magique déclic mêlant aux vagues des pensées déferlantes, des fleurs et des parfums, des sons et des couleurs et, tant de souvenirs de notre adolescence !

Tenace "Galant de Nuit" de nos songes d'antan, des lieux de nos jeunesses et du passé présent, tu engendres malgré toi, de trop souventes fois, cette mélancolie, cette "Nostalgérie", qui nous mène à souffrir de vivre loin de toi et depuis trop longtemps !

 

René Aniorté, à Valence le 2 janvier 2000


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